Je suis en panne de tondeuse... et le service après-vente de ma grande surface de bricolage, saturé d’urgences, tarde à me la remettre en état. Mon jardin ressemble en ce moment à une petite prairie sauvage : il n’est ni plus élégant ni plus laid que les talus et bas-côtés qui bordent les routes de mon département. C’est en observant de plus près ce petit bout de nature que l’idée m’est venue d’aborder un sujet qui divise les amateurs de jardins que nous sommes : peut-on laisser l'herbe pousser et jusqu'à quand ?

Lorsque je vivais dans le Lot, je m’étonnais de voir les abords des routes de campagne "nettoyés" tardivement en saison par les services de l’équipement. J’ai appris par la suite que cette pratique de fauche tardive obéissait à une réglementation locale visant à préserver la biodiversité. Parmi les herbes folles fleurissaient, de mémoire, plusieurs espèces d’orchidées sauvages (Ophrys et Orchis), un joli liseron nommé Convolvulus cantabrica, la primevère ‘coucou’, la scabieuse colombaire, la petite pervenche, la vesce de Cracovie, la Tulipe d’Agen et tant d’autres jolies plantes sauvages.

L'intérêt de la fauche tardive

La fauche tardive est une technique intéressante à double titre, de plus en plus adoptée par les communes : elle permet à la fois de réaliser des économies budgétaires et de réduire notre pression sur l’environnement. Des études menées dans certaines de nos régions (dans le Nord et l’Est notamment) ont démontré que cette gestion raisonnée des bandes enherbées a un impact très positif sur la richesse de la flore et de la faune locales.

Globalement, la fauche tardive consiste à laisser monter à graines les plantes sauvages avant de les tailler, tard en été, voire en début d’automne. Elle n'est pas réservée aux bord de route et peut parfaitement être mise en oeuvre au jardin, à l'échelle qui convient le mieux à sa taille.

Ce jardin sauvage, en Bretagne, est réalisé "en creux". Les allées se dessinent au grè des envies

Cette végétation sauvage, souvent dominée par les graminées, offre parfois un aspect jugé négligé qui n’est pas du goût de tous. Ces hautes herbes représentent pourtant un abri sûr et une source de nourriture non négligeable pour certaines espèces d’insectes, qui auront ainsi également le temps d’accomplir tout leur cycle de vie. Présentes depuis des millénaires dans nos régions, ces plantes et petites bêtes sont indispensables à l’équilibre naturel.

Parmi ces petites bestioles des bords de route se trouvent de nombreux alliés pour le jardinier. Dans les bandes enherbées et sous les débris végétaux se cachent et vivent les carabes et le staphylin odorant. Le premier est un coléoptère prédateur de cicadelles et d’othiorynque. C’est ce dernier qui défigure les feuilles de nos arbustes préférés en découpant, la nuit venue, le bord de leurs feuilles. Le second, le staphylin tout noir, est un amateur de « caviar » de limaces et d’escargots qui chasse aussi la nuit des larves d’insectes (acariens, cochenilles, mouches) dans la litière du sol. Les syrphes et les chrysopes butinent les fleurs sauvages au stade adulte mais leurs larves boulimiques sont la terreur des pucerons, notamment ceux que les coccinelles délaissent, comme le puceron cendré du chou. Les talus sont le royaume de dame coccinelle, que l’on ne présente plus. Inutile de s’étendre sur le travail fabuleux qu’accomplissent les abeilles et les bourdons dans nos potagers et vergers. Certaines chenilles dépendent parfois pour se nourrir d’une seule plante sauvage qui pousse dans le bas-côté qui borde votre jardin.

Nous nous étonnons parfois d’être littéralement envahis par certains insectes ; cette prolifération incontrôlée trouve souvent son origine dans la disparition des prédateurs… à laquelle nous ne sommes pas étrangers.

La fauche sélective, une autre technique à appliquer au jardin

La fauche sélective est une technique alternative qui consiste à tailler haut, en début d’été : elle vise essentiellement à éliminer les inflorescences des graminées pour favoriser le développement des fleurs sauvages, plus basses. Une fois séchées, tard en saison, les plantes sont taillées à 10-15 cm du sol. Elle n’est pas difficile à mettre en œuvre dans nos jardins sur de petites surfaces, par exemple le long d’une haie ou sur un talus ingrat, dans les endroits difficiles d'accès et réellement compliqués à tondre régulièrement. Et bien ce coin inaccessible, vous pouvez très bien le laisser pousser librement et n’intervenir qu’à bon escient. Les insectes s’en donneront à cœur joie dans ce petit éden. Une cisaille éliminera rapidement les épis des graminées si nécessaire et permettra aux fleurs de profiter de la lumière.

Cette technique, je l’ai appliquée sans le savoir dans mon jardin. Il faut que je vous explique : lorsque j’ai pris possession des lieux, il y aura quatre ans cet été, il n’y avait que de la terre battue, incroyablement dure, sèche et désespérément stérile. Un désert sans doute imputable au passage du glyphosate, véritable Attila chimique embusqué au fond du garage. L’ancien propriétaire avait un chien. Vous allez comprendre que le détail à son importance.

Cette terre maltraitée, je lui ai d’abord laissé reprendre ses esprits, en observant sans rien toucher pendant un an. Sans surprise, les premières colonisatrices ont été des graminées dont les épillets séchés sont de redoutables ennemis pour nos chiens et chats : on les appelle en Provence les "spigaous’". Alors que faire ? Traiter tous les ans au désherbant ? C’est la politique de la terre brûlée, d’une brutalité inouïe.

Ici, pas d’eau l’été, donc pas de vraie pelouse, qui coûte bien cher en arrosage, et donne beaucoup de travail pour un résultat médiocre. Alors j’ai tondu à ras, systématiquement et sans état d’âme les graminées indésirables pour mes animaux. J’ai laissé au contraire fleurir celles qui portaient des inflorescences douces et désarmées. J’ai ensuite simplement gratouillé la terre au râteau et puis j’ai jeté en automne un sac de "pelouse spéciale terrain sec" et des mélanges "prairie fleurie pour sol sec" et "engrais vert". Et puis j’ai laissé faire la nature. Depuis trois ans, je tonds haut, tard et pas partout. Je cible les zones où surgissent encore les épis malveillants. Aujourd’hui, il y a certes encore des "spigaous", mais ils sont en passe d’être débordés par les plantes que j’ai semées et des fleurs sauvages comme différents trèfles, lamier, des muscaris, du plantain, des vesces, de la phacélie, de la carotte sauvage, diverses astéracées comme le pissenlit… rien d’exceptionnel me direz-vous, mais ces ‘mauvaises herbes’ ne représentent-elles pas déjà une petite victoire ?

Depuis combien de temps n’avons-nous pas vu de lucioles ?

Ne me croyez pas figée dans un passéisme rigide. Et bien loin du militantisme radical, la nostalgie m’entraîne parfois vers des questions un peu douloureuses, qui font écho à de lointains souvenirs : depuis combien de temps n’avons-nous pas vu de lucioles (je ne vous parle pas de celles que l'on trouvait, jadis, dans les paquets de Bonux...) ? Ma mère me raconte qu’autrefois, lors de balades vespérales, ses grands frères malicieux disposaient ces vers luisants inoffensifs dans les cheveux du cadet de la famille, couronnant sa tête d’étoiles phosphorescentes. Que sont devenus la centaurée bleue, la marguerite blanche et le coquelicot écarlate, emblèmes de notre drapeau national ? Quid des jolies saponaires que ramassaient nos grands-mères dans les fossés humides ?

Attendue après une journée d’été bien chaude, la stridulation hypnotique des grillons me manque dans mon village des Bouches-du-Rhône entouré de vergers et de cultures maraîchères. Je m’étonne de ne voir que peu de papillons butiner les buddleias de mon jardin d’aujourd’hui : je me souviens des arbres à papillons de mon enfance, submergés d’ailes palpitantes et multicolores…

Que ce vagabondage sentimental ne nous empêche pas de rester optimistes : pour certaines devenus rares, toutes ces créatures animales ou végétales font tout de même leur retour dans nos jardins et aux abords des routes gérés avec discernement.

Et puis finalement la nouvelle réglementation, limitant la vitesse à 80 km/h, aura peut-être un côté positif : elle nous permettra sans doute de les apercevoir plus facilement au bord de nos routes départementales…

Pour aller plus loin :