Pendant des siècles, les légumes ont voyagé à travers les continents, transportés par les explorateurs, les marchands et les botanistes. Aubergines, pommes de terre, céleris, choux, carottes et autres panais… Les légumes si familiers dans notre cuisine de tous les jours nous viennent souvent des antipodes, tout du moins de territoires lointains. On apprend dans nos cours d'histoire que la tomate et le maïs nous ont été rapportés d'Amérique. Mais que sait-on vraiment de l'épopée de nos légumes ?
De l'Antiquité aux hybridations modernes ultimes, des légumes provenant d'Asie et du Proche-Orient ou originaires d'Amérique, je vous propose une escapade spatio-temporelle aux quatre coins de notre planète. Vous y apprendrez peut-être quel est le légume le plus vieux du monde, quels sont les légumes les plus consommés aujourd'hui dans le monde, et quelques récits savoureux sur leur histoire et leur provenance jusqu'à nous !

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Origine des légumes : les continents qui les ont vu naitre

Trois grandes zones du monde sont à l'origine de l'essentiel des légumes qui composent aujourd'hui notre alimentation : le Proche-Orient, l'Asie et les Amériques. À noter que lorsque l'on évoque cette origine, on parle des zones géographiques où ces légumes ont été cultivés, et non celles où le légume a été recensé en tant que plante sauvage. Ceci explique parfois les divergences que l'on remarque entre l'origine de certains légumes (un bon exemple avec le débat non résolu sur l'aubergine, qui serait soit chinoise, soit indienne).

Voici les origines de quelques-uns des légumes les plus employés de nos jours, par continent et grandes régions du monde :

  • Amérique : tomate (Mexique et Amérique centrale), haricot, courges et courgette (Mexique), pomme de terre (Pérou et Bolivie), poivron (Amérique centrale), patate douce (Pérou), maïs (Mexique)
  • Asie : aubergine et concombre (Inde), épinard (Perse), ail, échalote et oignon, carotte, concombre, navet, crosne (Japon)
  • Proche-Orient : pois* (croissant fertile), radis, lentille, pois chiche, roquette et le chou qui y a été vraisemblablement domestiqué.
  • Moyen-Orient : carotte (Afghanistan), oignon (Iran et Afghanistan),

*(souvent admis comme un des plus anciens légumes du monde, sa culture datant de 7 000 à 10 000 ans)

L'Europe et l'Afrique sont aussi le berceau de plusieurs légumes de notre quotidien. Chou, fenouil, blette, panais, fève, et de nombreuses salades comme la mâche (venant de Sicile et de Sardaigne), la scarole ou la chicorée pour l'Europe, la betterave et artichaut nous venant d'Afrique du Nord.

Si tous ces légumes ont été rapportés par les grandes expéditions des XVe et XVIe siècles ou par la conquête arabe (la Route de la Soie et la Route de l'Encens concernaient non pas des vivres, mais des épices, tissus et bois précieux), ils vont subir une lente évolution, être domestiqués, puis acclimatés dans des régions aux climats bien différents de leurs aires d'origine.

Les légumes à travers le temps : petite chronologie d'un succès annoncé

La consommation de légumes est documentée dans de nombreux écrits et manuscrits anciens à travers différentes cultures et époques, mais aussi au travers des peintures et des natures mortes à partir de la Renaissance. Les archéologues ont ainsi permis d'identifier le garde-manger de nos lointains ancêtres, les historiens ont investigué sur leur introduction et les naturalistes et botanistes ont étudié leur acclimatation dans nos pays.


On l'apprend à l'école, l'homme nomade ne cultivait pas, c'était un chasseur-cueilleur. Quand il se sédentarise, au Néolithique, environ -10 000 avant notre ère, il commence à domestiquer certains animaux… et à planter ! Les premiers foyers de sédentarisation au Moyen-Orient, ce que l'on appelle le croissant fertile (correspondant à l'Iran, l'Irak et la Turquie) font état de la culture de céréales comme l'orge (Hordeum vulgare), puis du blé, de l'avoine et du seigle. Considérée comme premier aliment cultivé, l'orge figurait bien au menu de nos ancêtres du bassin méditerranéen.
L'Égypte ancienne, qui nous a laissé moult témoignages sur ses pratiques alimentaires dans ses temples, tombeaux et papyrus, cultivait dans la vallée fertile du Nil le chou et le concombre, mais aussi les pois chiches et plus étonnamment les radis, ainsi que le souchet (papyrus) qui se consommait. C'était un peuple essentiellement végétarien.


Plus près de nous, dans la Rome antique, on a pu identifier les légumes que les habitants de Pompéi mangeaient : les pois, fèves et lentilles rencontrés en Egypte, donc beaucoup de légumineuses, mais apparaissent aussi déjà des légumes comme le chou, le poireau, les oignons et les asperges. Tous ces légumes sont mentionnés par Columelle, un agronome romain et par Pline l'Ancien dans son Naturalis Historia.

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Les légumineuses et céréales ont fait parti des premiers aliments cultivés

Plus tard encore, au Moyen Âge, de nombreux manuscrits racontent les légumes qui s'invitent sur les tables : surtout des légumes feuilles, comme l'épinard, l'arroche et la bourrache, des légumes racines (chervis, panais, carottes, navets…) et des légumes dits perpétuels ou vivaces. On a encore beaucoup la trace de légumineuses comme les pois chiches et les lentilles. La betterave fait son apparition et Charlemagne tente de l'imposer au potager. Il l'inscrit dans son Capitulare de Villis et la recommande comme culture potagère pour l'Empire. La cuisine médiévale se résume alors bien souvent à tous ces légumes, consommés sous forme de soupes, de bouillons, de tourtes et étuvées, les viandes, gibiers et poissons étant réservés aux classes nobles.

L'âge des découvertes au 15ᵉ et 16ᵉ siècle vient densifier cette cartographie des légumes. La découverte des Amériques par Christophe Colomb en 1492 est à l'origine de l'introduction de nombreux nouveaux légumes en Europe, tels que la tomate, la pomme de terre, le maïs, le poivron et la courge, pour ne citer que les plus connus. Ces légumes venus du Nouveau Monde fascinent alors littéralement notre vieux continent. Ils seront sur les tables des monarques et des cours européennes, assurant le faste des banquets au cours de la Renaissance, puis intègreront les cuisines européennes dans l'époque moderne.

Par la suite, on assiste à l'acclamation de ces légumes poussant sous des climats chauds, pour les adapter à nos régions, notre hygrométrie et nos quatre saisons. Les serres qui se développeront à partir du XVIIIe siècle vont permettre un essor de la culture maraichère sans précédent. Les agriculteurs vont peu à peu pouvoir produire de nombreux types de légumes tout au long de l'année, augmentant à la fois la diversité et la productivité.

Aubergine, carotte et artichaut : trois légumes domestiqués passés à la loupe

Alexandra s'était déjà penchée sur l'histoire passionnante de certains légumes dans Mon potager vient de loin, comme la pomme de terre, la tomate ou les courges. Je complète cette liste en vous parlant ici de l'aubergine, de la carotte et de l'artichaut, trois légumes hauts en saveur et en couleur... enfin... pas tous au début !

  • L'aubergine

L'Aubergine (Solanum melongena L), celle que l'on surnomma longtemps la pomme des fous ou la pomme de Sodome au 14ᵉ siècle, a eu une bien piètre réputation avant de devenir ce légume d'été tant apprécié de nos jours dans la cuisine méditerranéenne, libanaise et asiatique. On la disait alors dangereuse, car on l'assimilait comme on le faisait pour la tomate, non sans raison, à la belladone qui est de la même famille botanique, celle des solanacées. On lui attribuait fièvres, crises d'épilepsie, et ceux qui la mangeaient étaient même voués à perdre la raison.

Les aubergines furent donc, comme certains autres légumes, initialement considérées comme des plantes ornementales en Europe, mais elles gagnèrent bientôt une belle popularité en tant qu'aliment au sud de l'Europe. Elles sont attestées en culture vers 500 av. J.-C. en Inde, et en Birmanie. Les aubergines blanches seraient les plus anciennes formes cultivées. En Inde, en Birmanie et en Chine, on trouve des mentions de variétés claires ou blanches dans des textes anciens, dès le Ve siècle.
Elles sont d’ailleurs toujours appelées en anglais "eggplants" car elles ressemblaient… à des œufs de poule !
Ce sont les Arabes qui la découvrent au Moyen Âge et la rapportent d'Asie, vraisemblablement d'Inde au 15ᵉ siècle. Ils la nomment "al-bâdinjân", l'introduisent dans le bassin méditerranéen et l'adoptent rapidement grâce à leurs échanges commerciaux avec le monde arabe. L'aubergine transite par l'Afrique du Nord, puis l'Espagne, et dans d'autres pays du Maghreb. Mais ce sont les Italiens qui la popularisent réellement au XIXe siècle. Elle sera dès lors plus consommée en Espagne et en Italie, ainsi qu'en Grèce. L'aubergine n'arrivera sur les marchés au nord de la France qu'à partir de la moitié du XIXe siècle.

L'aubergine reste très consommée au Moyen-Orient où elle est la star de plats emblématiques comme le baba ghanoush au Liban, ou l'Imam bayildi en Turquie par exemple.
L’aubergine figure aujourd’hui dans le top 7 des légumes les plus cultivés au monde, avec plus de 60 millions de tonnes par an. La production mondiale d'aubergine est essentiellement chinoise et indienne, la Chine représentant environ 63 % de la production mondiale et l’Inde environ 24 %. Elle reste majoritairement consommée en Asie. Aujourd'hui, on ne compte pas moins de 341 variétés d’aubergines inscrites au catalogue officiel !

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  • La carotte

On attribue à l'Iran une culture développée de la carotte (Daucus carota), mais c'est en Afghanistan qu'elle serait apparue au Xe siècle, assez récemment finalement. Elle sera initialement produite en Europe, essentiellement en Espagne, et passant les Pyrénées, arrivera en France, puis en Italie au XIVe siècle.

Carottes jaunes, blanches et rouges, ancêtres de la carotte orangée, elles régalent les tables royales européennes sous cette couleur jusqu'à la Renaissance. Comme d'autres légumes ou fruits qui ont peu à peu changé de couleur, la carotte arbore à l'origine des teintes blanchâtres. Ce sont les hollandais qui dans le courant du XVIIe siècle, au prix de nombreuses hybridations, modifient cette carotte pâlichonne en une carotte de plus en plus orangée.

On retrouve désormais sur les étals des carottes jaunes et pourpres, curieux revirement de situation ! La mode et les tendances...

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  • L'artichaut

L'artichaut (Cynara scolymus), pour nous un symbole breton, est originaire... du bassin méditerranéen, d'Afrique du Nord pour être précis. Ce n'est autre qu'un chardon sauvage domestiqué ! Il était probablement déjà consommé dans l’Antiquité par les Égyptiens et les Berbères, sous sa forme sauvage, le cardon (Cynara cardunculus).

C’est à partir de cette espèce qu’on obtient, par sélection, l’artichaut cultivé. Il gagne l’Italie dès le 1er siècle sous l’Empire romain, qui l'utilise surtout, comme la Grèce, pour ses propriétés médicinales. C’est à la Renaissance, vers 1644 qu’il est véritablement popularisé et cultivé dans les potagers aristocratiques, notamment à Naples et en Sicile. On lui prête alors des vertus digestives et même aphrodisiaques. Il apparaît en France grâce à Catherine de Médicis, qui l’introduit dans les jardins royaux au XVIe siècle. Louis XIV adorait ce légume … La Quintinie en cultivera cinq variétés différentes.

Ce n'est qu'au début du XIXe siècle que l'artichaut devient populaire, grâce à la création du célèbre gros Camus de Bretagne. Il devient ainsi une culture maraîchère d’envergure en Bretagne, en Provence, et dans le Val de Loire. Il en existe plusieurs variétés, comme le Gros vert de Laon, l’artichaut violet de Provence, ou encore la poivrade-apparaissant plus tardivement-une petite variété tendre que l’on consomme souvent crue ou à l’huile. L’artichaut reste un légume emblématique de la cuisine méditerranéenne, que l’on retrouve farci, en barigoule ou à la romaine.

L’Italie, l’Espagne et l’Égypte figurent désormais parmi les trois principaux producteurs d’artichauts dans le monde, loin devant la France.

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Les "nouveaux légumes"

Si l’on pense souvent que tous nos légumes sont anciens, certains ne font leur apparition dans nos potagers et sur nos étals que très récemment, notamment avec la mondialisation alimentaire, l’essor du bio et de nouvelles habitudes de consommation (sans-gluten, végétarisme).

Parmi les légumes arrivés récemment dans nos potagers et sur nos marchés figurent des légumes exotiques, mais pas que...

  • La chayotte (ou christophine), une cucurbitacée d’Amérique centrale, très utilisée dans les cuisines antillaises et réunionnaises, désormais bien acclimatée et cultivée en France, en zone atlantique douce ou dans le sud.
  • Chou kale – revenu en force depuis les années 2010, star des régimes santé. Il est très cultivé aujourd’hui dans les potagers urbains, bios et alternatifs.
  • Le chou romanesco arrivé sur nos marchés dans les années 1990.
  • La patate douce : elle était rare il y a encore 30 ans et est aujourd’hui omniprésente sur les marchés, cultivée même dans le Sud-Ouest français. Certaines variétés sont adaptées au climat français.
  • Le yacon (poire de terre) : Originaire d’Amérique du Sud, elle est encore marginale, mais entre dans les circuits bio et les AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne). Son goût est sucré, proche du topinambour.

S’ajoute à cette liste le radis noir, un légume ancien réhabilité par la cuisine moderne et les tendances bien-être. Longtemps cantonné à l’herboristerie, il réapparaît aujourd’hui dans les salades d’hiver et les assiettes détox. Ces légumes témoignent du renouveau végétal du XXIᵉ siècle, entre exotisme et innovations culinaires.

On assiste aussi à la redécouverte de légumes oubliés comme le chervis, l’arroche, l'hélianthi, le crosne ou encore le cardon, et des herbes comme l'ail des ours, souvent remis au goût du jour par les chefs ou les potagers bio.

L’agriculture du XXIe siècle a aussi vu apparaître des légumes hybrides ou créés par croisement, comme le broccolini (croisement entre brocoli et kai-lan), ou le kalette (kale + chou de Bruxelles), témoins de notre goût croissant pour l’innovation végétale, mais aussi du besoin d’adaptation aux nouvelles conditions climatiques.

Ces légumes qui auraient pu ne jamais exister !

Il y a enfin aussi des légumes qui n'ont jamais vu le jour... et ceux qui auraient pu rester inconnus en Europe.
On essaiera ainsi de consommer le tubercule du Dahlia, rapporté en France en 1802 depuis le Mexique, via l'Espagne. Cette plante était cultivée, utilisée à des fins décoratives dans des tiares fleuries, mais aussi consommée par les Aztèques depuis des siècles. Le botaniste André Thouin pensait pouvoir l'utiliser chez nous, un peu comme la pomme de terre, le tubercule ayant une consistance farineuse. Mais son goût poivré ne séduit pas les testeurs du moment, et c'est ainsi qu'il fut cantonné dès 1804 (pour notre grand bonheur) en tant que seule plante ornementale !

Certains des légumes si appréciés de nos jours ont failli ne pas rentrer dans nos cuisines. La pomme de terre et la tomate en sont de bons exemples, la première jugée longtemps comme impropre à la consommation, indigeste, juste bonne à nourrir les animaux et supposée transmettre la peste, la seconde gardant longtemps son image de plante toxique. Elle ne fut adoptée par les Français qu'à partir de 1731, et par les Allemands, plus tard encore, vers 1870. Ces plantes targuées d'empoisonneuses furent également le lot de certains fruits, mais nous y reviendrons dans un prochain article.

Pour aller plus loin

Je ne saurais trop vous recommander un des livres ayant reçu récemment le prix Saint-Fiacre 2024 : "Tour de France des fruits et légumes" de Noémie Vialard et Stéphane Houlbert, ainsi que Histoire de légumes : Des origines à l'orée du XXI e siècle, de Michel Pitrat et Claude Foury.

Si vous vous baladez en Anjou, allez visiter les jardins du Puygirault, un lieu unique qui retrace l'évolution du potager depuis les temps les plus reculés.

Vous voulez découvrir les légumes anciens ? Découvrez nos articles et recettes sur le sujet :

Retrouvez un article intéressant du National Geographic sur un thermopolium découvert intact à Pompéi.

Le Musée de Cluny nous inspire avec ses recettes médiévales !