Quand nous faisons nos courses ou que nous épluchons une pomme, nous ne pensons pas vraiment à l'origine des différents fruits qui s'invitent sur nos tables, tant ils font partie de notre quotidien. Et pourtant, s'ils pouvaient parler, ils nous raconteraient l'incroyable aventure qui les a conduits jusqu'à nous, depuis les temps les plus anciens !
Ces fruits juteux et parfumés dont nous nous délectons à longueur d'année sont en effet apparus pour la plupart il y a bien longtemps dans des contrées lointaines, même si certains sont arrivés sur notre vieux continent plus récemment.
Comme je vous ai raconté l'épopée des légumes dans un épisode précédent, je vous invite cet été à continuer ce voyage savoureux dans l'univers coloré de nos fruits les plus familiers.

histoire des fruits

Origine des fruits : les continents qui les ont vu naitre

On dénombre près de 150 fruits différents dans le monde... et des milliers de variétés. Si nous associons certains à une culture nationale, ils viennent pour la grande majorité de pays, voire de continents lointains. Certains comme la cerise ou la poire ont deux origines distinctes. Voici les aires de répartition et apparitions d'origine* de quelques-uns des fruits les plus consommés de nos jours, par continents et grandes régions du monde :

  • Amérique : ananas (Brésil), avocat (Mexique), tomate -botaniquement c'est un fruit !- (Mexique et Amérique centrale), papaye (Amérique centrale), goyave (Amérique centrale et Brésil).
  • Asie : poire, pêche, abricot, kiwi et orange (Chine), banane (Asie du Sud-Est), citron et mangue (Inde), grenade (Asie centrale, Afghanistan).
  • Proche-Orient : figue (Turquie), datte (Mésopotamie), grenade (Iran), cerise (Asie mineure).
  • Europe : pomme (Caucase), poire (Europe et Asie Mineure), raisin (Moyen-Orient et Europe), fraise (Europe et Amérique du Nord), raisin (Caucase et Europe du sud)
  • Afrique : pastèque, melon.

* Cette répartition répertorie les fruits natifs de pays, qui ont par la suite été introduits dans d'autres régions du monde, avant de se naturaliser dans certaines.

Les fruits à travers le temps et les cultures

Les baies sauvages, ancêtres de nos mûres et framboises, constituaient une partie importante du régime alimentaire des chasseurs cueilleurs et ont été consommées par les hommes préhistoriques bien avant que l'agriculture ne se développe.

Mais l'un des fruits cultivés considéré le plus ancien de l'humanité serait la figue. Elle serait le premier fruit à avoir été domestiqué, avant même les céréales dans certaines régions de l'actuel Proche-Orient. Des fouilles effectuées dans la vallée du Jourdain, dans la région de Jéricho en Cisjordanie ont permis de mettre à jour des figues carbonisées datant d'environ 9000 av. J.-C. Les dates elles aussi sont cultivées dès l'Antiquité.

Au Moyen Âge et à la Renaissance, la culture fruitière se développe en Europe et en Asie. Dans les monastères européens, la création du jardins vivrier avec le jardin clos moyenâgeux a joué un rôle crucial dans la préservation et le développement de la culture fruitière, notamment des pommiers, cognassiers et cerisiers. Le verger médiéval est associé au paradis perdu, et les enluminures, nombreuses à le représenter. Des fruits comme la pomme, la poire et le raisin font leur entrée sur les tables. Les croisades et plus tard les grandes expéditions maritimes enrichiront à leur tour la diversité des fruits disponibles. C'est une époque où les fruits seront aussi souvent consommés sous une forme sèche, ce qui permettait de les conserver plus longtemps (figues, pommes, abricots, prune et cerise).

À la Renaissance, les échanges commerciaux introduisent par exemple de nouvelles variétés de raisins, enrichissant la viticulture européenne. Les croisades ont par ailleurs permis l'introduction d'agrumes en Europe, transformant fortement les habitudes alimentaires. Les horticulteurs, puis les arboriculteurs feront des avancées décisives dans les techniques fructicoles (greffages, culture en espaliers et création de formes fruitières, acclimatation sous serre), pour aboutir au patrimoine fruitier tel que nous le connaissons aujourd'hui.

d ou viennent fruitiers
Nature morte aux fruits de William Joseph Hammer, 1856
Photo Wikimedia Commons

À la découverte de trois fruits emblématiques : poire, melon et fraise

Parmi le grand panel des fruits aujourd'hui à notre disposition, j'ai choisi de vous parler de trois fruits faisant désormais partie de nos habitudes de consommation.

La poire : des millénaires de savoir-faire et d'innovations

Fruit commun s'il en est aujourd'hui, c'est bien la poire. On en dénombre à notre ère moderne une soixantaine d'espèces, et près de 2000 variétés de par le monde ! : Comice, Conférence, Williams, Passe crassane ou Guyot... pour ne citer que les plus répandues sur nos marchés.
Elle est en réalité un des fruits les plus anciens que l'on cultive dans l'hémisphère nord, et son histoire remonte à des millénaires.

Originaire d'Asie, la poire a transité un peu plus tard par l'Europe. En Chine, où l'on a retrouvé des écrits datant du Ve siècle avant J.C. la mentionnant, elle est cultivée depuis plus de 5000 ans avant notre ère. On a retrouvé des débris et pépins de poires (Pyrus communis) dans les cités lacustres de l'actuelle Suisse et dans des sites préhistoriques du néolithique. Si on la retrouve dans les civilisations égyptiennes et grecques, ce sont les romains qui les premiers vont développer et améliorer ce fruit, en pratiquant les premiers greffages. En l'an 50 après Jésus-Christ on comptait déjà 35 espèces différentes.

La poire affirme sa présence en Europe à partir du Moyen Âge, mais reste à cette époque peu appréciée, souvent cuite, et aux noms divers, peu élogieux (poire d'angoisse ou caillou rosat). La Quintinie (1626-1688) lui donne réellement ses lettres de noblesse : le roi Louis XIV en raffole (enfin... surtout pour décorer ses tables de gala), et c'est à partir du XVIIe siècle que l'on commence à faire des croisements, avec les cognassiers. Les perfectionnements dans les techniques de culture des fruits permettent alors de produire des poires de qualité supérieure, beaucoup plus fondantes, contribuant à leur popularité croissante chez les nobles et les roturiers. Cinq cents espèces seront ainsi déjà répertoriées du temps de La Quintinie, dont les stars de l'époque, la Bon Chrétien ou la Cuisse-Madame.

La poire Williams nait en 1796, la poire Conférence est ainsi dénommée en 1885, et la poire Angelys, une des petites dernières, est née en 1998. Elle est désormais commercialisée sous le nom Angys®, fruit d'une recherche angevine de l'INRAE (cocorico !), issue d'un croisement entre la Doyenné du Comice et la Doyenné d'Hiver.

Les poires asiatiques (Pyrus pyrifolia) et leur descendance sont des fruits à chair croquante, comme le Nashi, tandis que nos poiriers communs européens (Pyrus communis), nés des poiriers sauvages des régions montagneuses de la mer Caspienne, produisent des fruits à chair tendre et juteuse. On distingue toujours de nos jours les poires "à couteau" pour une dégustation à cru, les poires fondantes et les poires "à cuire", un peu comme chez les pommes. Les espèces principales et comestibles sont issues du Pyrus pyrifolia. En Asie, on compte près de 3000 variétés issues des Pyrus pyrifolia, Pyrus ussuriensis et Pyrus bretshneideri, qui sont pour certaines rustiques à plus de -30°C.

Sixième fruit préféré des Français, présent toute l'année sur nos étals, et dans des recettes mondialement connues comme la poire Belle Hélène, ce fruit n'en finit pas de nous séduire. À noter que le plus gros producteur de poires au monde est encore une fois... la Chine, avec une production de 16,5 millions de tonnes de poires. Bizarement, 50% des poires consommées en France sont importées, sachant que nos principales régions productrices sont les régions de la Loire et du Val-de-Loire.

poires histoire

L'abricot : du Tibet à la Provence

Son nom botanique, Prunus armeniaca, attribué par erreur par Carl von Linné, laisserait supposer une origine arménienne à l'abricotier. Il n'en est rien car ce fruit très apprécié l'été et que l'on associe au bassin méditerranéen est en fait né sur les contreforts de l'Himalaya, entre le Turkestan, le Tibet et la Mandchourie, comme notre bonne vieille pêche. Cet ancêtre sauvage de l'abricotier moderne va être introduit beaucoup plus à l'est, en transitant effectivement par l'Arménie, via la route de la Soie. L'abricot arrive en occident sous des formes déjà améliorées, les chinois le cultivant alors depuis des millénaires. Il conquiert la Grèce et l'empire romain au tout début de l'ère chrétienne seulement. Les romains lui donnent le nom de praecoquum, autrement dit, le fruit précoce, puis de Punum armeniacum, en référence à son introduction en Arménie. Le nom abricot n'apparaitra qu'au XVIe siècle dans la langue française, emprunté à l'espagnol albaricoque, lui même dérivant de l'arabe al-barqūq.

Car ce sont les Maures qui, au VIIIe siècle, ramènent l'abricot en Espagne. Et ce n'est en effet qu'au XVIe siècle que ce fruit devient peu à peu considéré. Le bon roi René, ayant hérité des royaumes de Naples et de Sicile, aurait introduit l'abricotier en Anjou un siècle plus tôt, vers 1435. Le Moyen-Âge lui donne alors une piètre réputation, celle de donner la fièvre. Il faudra du temps avant de consommer l'abricot cru, comme nous le faisons en croquant le fruit tiédi par le soleil, à même l'arbre. La Quintinie lui-même le réservera exclusivement à des préparations cuites comme les confitures ou les compotes. Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour voir sa culture s'étendre dans les régions sud de la France, et pour compter sur des variétés de plus en plus nombreuses.

L'abricot moderne est donc cultivé chez nous depuis moins de 500 ans. Aujourd'hui, les principales zones de culture de l'abricot sont toujours le bassin méditerranéen, la France étant le 17eme pays producteur en volume. La Turquie, premier producteur mondial, produit essentiellement des abricots séchés à partir de variétés particulièrement adaptées au séchage.

abricot origine et histoire
Nature morte à la coupe d'abricots, Lubin Baugin
(huile sur panneau de bois, vers 1630; musée de Rennes)-Photo Wikimedia Commons

Le melon : un mal aimé devenu star de l'été

Le melon à chair orangée, gorgé de sucre et de soleil que l'on apprécie en France au cœur de l'été (Cucumis melo), originaire d'Afrique et d'Asie, a lui aussi une histoire passionnante. Cultivé dès l'Antiquité en Égypte et en Mésopotamie, il était alors apprécié gustativement pour ses graines autant que pour sa chair. On le retrouve, ainsi que la pastèque, sur des fresques de tombeaux. Les Romains, probablement ceux qui l'introduisent en Europe, le connaissaient mais lui préféraient souvent la pastèque (Cucumis citrullus), le trouvant plutôt insipide. À cette époque, le melon était d'ailleurs considéré davantage comme un légume et était souvent consommé cuit et salé ou en salade.

En l'an 800, Charlemagne le cite dans les plantes recommandées dans le Capitulaire de Villis, reprenant le nom que lui avait donné les grecs, "pepon" ('cuit par le soleil).

melon histoire origine

Ce fruit frileux va commencer à s'acclimater en Europe grâce au développement des serres, à partir du XVIIe siècle, ce qui permettra de le hâter et de pouvoir le consommer en toute saison, ce que réclament les nobles. Il devient plus gros et plus goûtu. En France, le melon comme d'autres fruits ou légumes a alors encore une piètre réputation, bien souvent perçu par les médecins comme un aliment dangereux, provoquant des indigestions par ses sucs néfastes, les "succum pessimum". Plusieurs papes meurent même d'une consommation effrénée, comme ont le dit de Clément VIII. Cette réputation s'étiole peu à peu au XVIIIe siècle, où un auteur comme Marc-Antoine Girard de Saint-Amand en fait une description élogieuse dans un poème tout en finesse : Le melon. Voltaire le sacre même "chef d'œuvre d'été". Car depuis 1780, le melon cantaloup, rond et à chair orange, en provenance de la résidence d'été des papes de Cantaluppi, se fait connaitre dans les potagers français. La marquise de Sévigné et un peu plus tard Alexandre Dumas seront des ambassadeurs du melon de Cavaillon, la première pour son adoration de ce fruit provençal, le second pour s'en être fait livrer jusqu'à sa mort comme une rente viagère en échange de livres !

Les méthodes de culture sous serre et sous cloche se perfectionnent et apparait la large cloche à melon dans le courant du XVIIIe siècle, toujours utilisée de nos jours pour ceux qui ont la chance d'en posséder. Il devient un fruit attestant une haute catégorie sociale.

Même si peu d'écrits le confirment factuellement, on dit souvent que les melons, en raison de leur valeur marchande croissante et de leur popularité, ont été la cible de vols quand ils étaient cultivés dans des jardins clos et pourtant surveillés, notamment en Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Aujourd'hui, le melon est apprécié dans le monde entier et est cultivé en plein champ ou sous serre dans de nombreuses régions. La France est l'un des principaux producteurs en Europe, avec la Provence et la Charente, réputés pour la qualité de leurs melons. Les melons charentais, reconnaissables à leur chair orange et leur peau ridée, sont prisés pour leur saveur sucrée et parfumée. Le melon de Cavaillon, reste un incontournable de l'été. Nous sommes en France le treizième producteur mondial de melon, mais devons en importer (d'Espagne et du Maroc principalement) pour notre consommation estivale

Quant aux melons jaunes ou melon sucrin, on les associe à l'Espagne, où ils sont largement consommés. Ces melons, également connus sous le nom de melons de Santa Claus ou melons 'Piel de Sapo' (peau de crapaud), ont une peau verte tachetée et une chair blanche ou verte, très rafraîchissante. Ils sont principalement cultivés dans les régions espagnoles de Murcie, d'Andalousie et de Valence.

Les "nouveaux fruits" hybrides et exotiques

La plupart de nos fruits remontent donc à des temps très reculés, mais certains fruits n'apparaîtront que tardivement dans nos cuisines et à table. Il s'agit surtout de fruits exotiques que nos palais découvrent et apprécient de plus en plus à l'aube du XXe siècle, comme le kiwi, chinois, mais cultivé en Nouvelle-Zélande depuis le début du XXe siècle, et devenu populaire en Europe à partir des années 1960 seulement, ou encore le litchi, apparaissant en Europe dès le XVIIIe siècle grâce aux importations coloniales. La figue de barbarie désormais accessible sur certains marchés, était quant à elle restée confidentielle en occident depuis Christophe Colomb.

Depuis les années 70-80, d'autres fruits sont apparus sur le marché, nés de l'hybridation de deux espèces, de sélections horticoles, de manipulations génétiques ou de mutations naturelles. Certains sont peu encore connus comme la mûroise ou mûre-framboise, un croisement entre un framboisier et une ronce sauvage, et la casseille ou caseille, autre croisement de fruits rouges entre un cassissier et un groseillier à maquereau. L'aprium, né des amours (américaines) entre prunier et abricotier, le pluot, autre hybridation entre prune et abricot sont d'autres trouvailles de laboratoire. Les agrumes ne sont pas en reste, avec notamment le tangelo (Minéola), hybride d'un mandarinier et d'un pamplemoussier, moins acide et plus sucré qu'un pomélo. Les Américains, qui ont aussi développé des myrtilles roses (comme 'Pink Lemonade'), sont souvent à l'origine de ces trouvailles génétiques plus ou moins fantaisistes...

Tous ces nouveaux fruits sont la preuve même que l’innovation fruitière n'a pas dit son dernier mot pour s'adapter, entre autres, à la nouvelle donne climatique mondiale.

quels sont les nouveaux fruits sur le marche
Litchis et kiwis deviennent courant dans nos magasins dès les années 80, mais on assiste à de nouveaux fruits comme le pluot ou le tangelo depuis une dizaine d'années

Fruits anciens et oubliés

On assiste aussi actuellement à la redécouverte de fruits oubliés comme le coing, la nèfle, le jujube ou encore le kaki, souvent remis au goût du jour par les chefs ou les vergers bio. Vous souhaitez en savoir plus sur ces fruits anciens ? Parcourez nos articles et recettes :

Aller plus loin : quelques livres et sites utiles

Pour les botanistes ou les amateurs d'histoire et les férus de variétés fruitières locales et anciennes, je recommande les ouvrages suivants :

Plusieurs associations et organismes permettent d'en apprendre davantage sur l'origine et la conservation des fruits :

  • Les croqueurs de pommes qui milite depuis des années pour la sauvegarde des variétés fruitières régionales.
  • Fruits oubliés : un réseau qui contribue à la promotion et à la sauvegarde du patrimoine fruitier.
  • Le Centre national de pomologie, une association qui se consacre à la conservation, à l'étude et à la promotion des variétés fruitières, en particulier les variétés anciennes et locales.

Pour prolonger cette lecture, découvrez l'histoire ancestrale de la figue dans cet excellent article d'Alain Bonjean dans les chroniques du végétal. Vous saurez tout sur les génomes de l'abricot dans cette publication de l'INRAE. Et Eric Birlouez vous en dit beaucoup plus sur l'épopée de l'abricot dans son podcast sur France Inter...

Écoutez pour finir un petit sujet savoureux, Dans l'intimité de l'histoire : la poire fruit érotique, raconté par la chroniqueuse historienne Clémentine Portier-Kaltenbach.


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