Nous continuons notre voyage par les végétaux en vous emmenant à la découverte du parcours d'une plante évoquant spontanément l'Asie, mais que l'on trouve dans un large éventail d’environnements de par le monde. En effet, on l'ignore souvent, mais cette graminée géante hors du commun pousse aussi naturellement en Amérique, en Afrique continentale et en Océanie.

Plante multi-usages poussant en de magnifiques forêts et dont les pousses sont comestibles, on l'utilise pour végétaliser les jardins, mais aussi pour la construction de bâtiments et ponts, la fabrications de meubles et objets de la vie quotidienne, d'instruments de musique, de pâte à papier, de tissus, de vinaigre et de produits biochimiques et pharmaceutiques... Vous l'aurez certainement deviné, nous parlons aujourd'hui du bambou

Les plantes voyageuses : le bambou
Incomparables pour embellir nos jardins, les bambous sont aussi des plantes très utiles au quotidien dans de nombreuses cultures

Le bambou

Les bambous font partie de la famille des graminées Poaceae et de la sous-famille des Bambusoideae. On trouve parmi les Poaceae la plupart des herbes et des céréales. Les plantes de cette famille botanique sont généralement des plantes herbacées - plus rarement ligneuses comme les bambous qui nous intéressent ici - ayant des caractéristiques qui les distinguent des autres familles végétales. Elles possèdent notamment : 

  • des tiges ou chaumes cylindriques aux entrenœuds creux,
  • des feuilles alternes,
  • des limbes de feuilles linéaires à nervation parallèle,
  • des inflorescences en épillets. 
Les plantes voyageuses : le bambou
Les tiges, feuilles et inflorescences des bambous sont caractéristiques

Les bambous sont donc bien des herbes, et non des arbres ou des arbustes, même si certains d'entre eux peuvent atteindre une hauteur de 35 mètres et un diamètre de 30 centimètres !

Il existe plus de 1600 espèces connues, susceptibles de pousser sous presque tous les climats et sur les sols les plus pauvres. On distingue principalement les variétés :

  • Bambusa, originaires d'Asie tropicale et subtropicale, peu rustiques, appréciant les climats chauds et humides
  • Chimonobambusa, bambous élégants, au développement modéré et à la végétation luxuriante
  • Fargesia, bambous non traçants et persistants qui ne risque pas de s'échapper en dehors du jardin, bien adapté aux petits espaces
  • Phyllostachys, de grande taille, ils poussent vite 
  • Pleioblastus, bambous nains ou de taille moyenne, atteignant une hauteur de 10 cm à 3 m selon les espèces et variétés
  • Sasa, qui se distinguent par leur petite taille et leur port souvent compact. 

La mystérieuse floraison des bambous : celle-ci ne se résume pas à ce qui est écrit la plupart du temps à ce sujet. A savoir que lorsqu'un bambou fleurit, tous les individus de la même espèce fleurissent dans le monde entier... et meurent. Si effectivement un cas semblable peut se présenter, il reste rare et ne fait pas la règle. Le fait d'observer des fleurs sur une espèce de bambou ne permet pas de dire que tous vont fleurir et vont rendre l'âme : il y a beaucoup plus de chances que ce ne soit qu'une floraison sporadique, ne touchant que quelques individus !

Les bambouseraies sont omniprésentes dans le paysage naturel des contrées asiatiques, là où on les trouve en plus grand nombre. Mais quand et comment ont-ils voyagé jusqu'à nos jardins ? Leur périple est plutôt récent et dû à une poignée de passionnés. 

L'arrivée des bambous en Occident

Selon les spécialistes, la première mention d'une "bambusée" se trouve dans une lettre d’Alexandre le Grand à son précepteur Aristote. Ce fait n’est pas surprenant puisque ce grand conquérant du IVᵉ siècle avant J.C. a fait explorer le delta de l'Indus pour y étudier entre autres la flore et la faune. Pline l'Ancien fait référence aux bambous dans son Histoire naturelle rédigée au Ier siècle après J.C., puis en 1571, Mathias de l'Obel, médecin et botaniste flamand fit lui aussi référence à une bambusée dans ses écrits. En 1598, Willem Lodewijcksz, commissaire d'une flotte envoyée dans l'océan Indien dans les îles de Java et des Moluques pour y acheter des épices nous rapporte : "Nous y [à Sumatra] avons aussi veu croistre en ceste maniere le Poyvre rond, montant et s'enveloppant a des roseaux hauts et gros, dits en Portuguez Bambu, et en langue Malaique Mambu". L'étymologie javanaise du nom du bambou est donc trouvée. Il désigne une graminée qui a la forme d’une canne creuse et serait une onomatopée qui pourrait correspondre aux détonations d’un arbre creux dans le feu.

Au XVIIème siècle, Georg Everhard Rumphius (ou Rumpf), marchand néerlandais célèbre pour ses travaux en histoire naturelle, décrit plus de 24 espèces de bambous. Il les désignait en latin par le terme "Arundarbor" ou "arbres creux" ou encore "roseaux arborescents". À la même époque, Carl von Linné, père de la botanique moderne, répertoria de son côté une vingtaine de bambous. C'est à lui qu'il revient d'avoir introduit dans le vocabulaire scientifique le terme "bambou" et de les avoir classés dans la famille des graminées. Mais tout cela n'amena pas les bambous dans nos contrées...

Pourtant au XVIIIe siècle, les grands navigateurs ramènent par mer de véritables trésors végétaux sur pied, rivalisant d'ingéniosité pour trouver l’eau nécessaire à leur arrosage. Les pépinières de l’époque introduisaient donc déjà de multiples plantes venues d'ailleurs mais ces "curieux arbres en forme de tube" ne suscitent pas vraiment d’intérêt en Occident, que ce soit pour l’exploitation horticole ou agronomique.

L'arrivée tardive des bambous en Europe s’explique selon Jean Houzeau de Lehaie, un botaniste belge né en 1867, par "la rareté des fructifications, le peu de temps que les graines de beaucoup d’espèces conservent leur faculté germinative et la lenteur des transports". Pour cultiver des bambous sous nos latitudes, il fallait rapporter des sujets sur pied plutôt que des graines. Le voyage à la voile entre l’Extrême-Orient et l’Europe pouvant durer jusqu'à six mois, botanistes et pépiniéristes n’imaginaient donc pas rapporter de volumineux plants de bambous assez forts pour supporter le voyage et exigeant de très importantes réserves d’eau. Techniquement possible, leur voyage ne valait pas l’enjeu économique, trop faible par rapport à d’autres plantes plus ornementales.

Ce sont la révolution industrielle et l'avènement des bateaux à vapeur, raccourcissant les délais et facilitant le transport des marchandises, qui permirent finalement l’introduction des bambous sous nos latitudes. Ainsi le Phyllostachys nigra aurait été la première espèce à prendre racine en Occident au début du XIXème siècle. Puis, d'autres bambous furent importés en 1840 par Alphonse Denis. Maire d'Hyères de l'époque, il acclimata dans le jardin de sa propriété de nombreuses plantes du monde entier.

Le Phyllostachys nigra serait le premier bambou à avoir été introduit en Occident

Jean Houzeau de Lehaie et la bambouseraie de Prafrance

Naturaliste belge, Jean Houzeau de Lehaie (1867-1959) a consacré sa vie entière à l'étude des bambous. Il n'a que 16 ans lorsqu'il fait ses premières expériences de plantations de bambous dans sa propriété familliale. On sait que ses premiers essais, commençant par une faible motte d’Arundinaria japonica (Pseudosasa japonica) en pleine terre ne sont pas concluants à cause du climat local plutôt froid et humide. Il fut en relation avec Louis Van Houtte, horticulteur et botaniste belge lui aussi, responsable de la Société royale d'horticulture de Belgique, qui commercialisa l'Arundinaria falconeri dès 1848 et l'Arundinaria fortunei (Pleioblastus fortunei) envoyé du Japon en 1863. A peine arrivées, ces plantes vont très vite figurer dans la collection de Jean Houzeau. Celui-ci initia ensuite l’introduction de nouvelles espèces venues du Japon, de Chine et d'Inde et leur acclimatation en Belgique dans sa propriété de l’Ermitage située près de Mons. 

Eugène Mazel est quant à lui un un cévenol passionné de botanique. Héritier d'une fortune, il débute en 1855 l'aménagement du domaine de Prafrance à Générargues, proche d'Anduze dans le Gard, et réalise ses premières plantations de bambous Phyllostachys Mitis, Phyllostachys viridiglaucescens et Phyllostachys edulis aux côtés d'autres plantes exotiques. La bambouseraie de Prafrance, qui se visite de nos jours et comprend également une riche pépinière de bambous, constitue un des plus anciens parcs à bambous en France. On sait qu'en 1887 de nombreux sujets sont achetées par Jean Houzeau à Eugène Mazel et qu'à partir de cette date, presque chaque année sa collection s’enrichit de plusieurs espèces ou variétés obtenues par voie d’échange, d’achat, ou reçues de correspondants de par le monde. 

Les plantes voyageuses : le bambou
Jean Houzeau de Lehaie, qui passa sa vie entière à étudier et cultiver les bambous ; chargement de bambous en tontines à la gare d'Anduze en 1905 et allée des bambous géants à la Bambouseraie de Prafrance

Car le développement des voies de communication dans les régions d'origine permet d'accroitre le nombre de taxons, mais aussi d’avoir des sujets plus rustiques. Jusqu’alors nos passionnés s'étaient contentés de plants recueillis à proximité des ports maritimes, dans des zones au climat régulier. Désormais, une grande partie de la flore de Chine, de Mandchourie, de Corée ou du Japon s’ouvraient au monde. Et au XIXème siècle, les importateurs de soie rapportaient des spécimens pour en faire cadeau à leurs clients ou les planter dans leurs propriétés.

Continuant d'accroitre sa collection et sa connaissance des bambous, Jean Houzeau fut aussi le rédacteur d'un bulletin périodique appelé 'Le Bambou', diffusé entre 1906 et 1908, et riche d'un réseau de quatre cents correspondants répartis dans le monde entier. Grâce à son approche scientifique, il est à l'origine de la systématique des bambous rustiques. Tout au long de sa vie, il a diffusé gratuitement de nombreux taxons de bambous rustiques et tropicaux en Europe, puis en Afrique dans une perspective agronomique : Phyllostachys violacens, aurea (en pleine floraison en 1922 !), flexuosa ou henonis (qui a fleuri de 1904 à 1906) mais aussi Fagesia nitida ont ainsi été diffusés dans l'Europe entière et plantés dans les parcs et jardins privés ou publics de l'époque. 

Le bambou dans nos jardins

Cultivés dans des jardins du monde entier, en pot en en pleine terre, avec leur feuillage graphique bruissant au moindre souffle de vent et leurs chaumes robustes, les bambous apportent une indéniable note exotique et structurent le jardin même en hiver. Ils se répartissent selon leur type de croissance : les espèces traçantes comme les Phyllostachys, qui se multiplient à vive allure par leurs rhizomes au point de devenir envahissantes et les bambous non-traçants dits « cespiteux » comme les Fargesia qui poussent en touffe compacte, et sont non envahissants. 

Leur hauteur varie en fonction des espèces et ils se classent en trois catégories de taille :  les nains mesurant de 20 cm à 1,50 m de hauteur, les petits et moyens de 1,50 m à 10 m et les géants de 10 m et plus. Ils permettent de créer des haies persistantes rapidement et associées à des graminées par exemple, ils participent à des ambiances zen et graphiques, attrayantes au fil des saisons. 

Les plantes voyageuses : le bambou
Fargesia rufa et Phyllostachys plantés en haie

De merveilleuses plantes pour la biodiversité

Le bambou fait partie intégrante des cultures asiatiques où leurs usages sont multiples. Mais il est aussi un élément essentiel de certains écosystèmes : il sert à la fois d’habitat et de nourriture au panda géant, au panda roux, au gorille des montagnes, au Vervet des monts Balé (un singe endémique d'Éthiopie) et au grand lémurien des bambous, tous dépendants de cette plante.

Sa croissance rapide et son système racinaire solide font du bambou un puissant outil de protection des sols et de lutte contre la désertification dans le monde. Des estimations ont montré qu’un seul plant de bambou peut lier jusqu’à 6 mètres cubes de sol. En outre, la plupart des espèces de bambous laissent tomber une partie de leur feuillage persistant durant toute l’année, améliorant ainsi la santé du sol. En dehors de ses utilisations ornementales et culinaires, le bambou est aussi une plante fourragère pouvant être utilisée en phytoépuration.

Il existe une Organisation internationale pour le bambou et le rotin (INBAR), observateur à l’Assemblée générale des Nations Unies, qui promeut le développement durable en s’appuyant sur l’utilisation du bambou et du rotin. Stockage du carbone, matière première résistante et poussant beaucoup plus rapidement que le bois, permettant notamment de construire des logements abordables, solides et flexibles, résistants aux catastrophes, biomasse combustible pour la cuisine et le chauffage... c'est une plante ayant de nombreux atouts pour lutter contre le dérèglement climatique !

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