Les tulipes sont, parmi les bulbes à fleurs de printemps, les plus faciles à réussir : bulbes calibrés, normés et pratiquement toujours homogènes en qualité : ce sont les bulbes faciles par excellence ; et pourtant, il est tout aussi facile, avec un peu d’attention, de rater leur plantation.

Suivez notre guide minutieusement établi grâce à une forte expérience de première main de l’auteur en ratages divers et variés, avec aussi, remercions-les au passage, l’aide de nombreux clients inventifs qui, par téléphone ou mail, m’ont vigoureusement expliqué leurs petits secrets conduisant à l’échec.

Leçon numéro 1 : pour rater vos tulipes, plantez-les en fin de printemps ou en été

Habitant dans les Flandres, je passe régulièrement des week-ends (culturels) à Amsterdam, et j’ai toujours été stupéfié de voir, en mai-juin, pléthore de bulbes de tulipes à vendre sur le marché aux fleurs d’Amsterdam… Longtemps je me suis demandé ce que ça pouvait donner. Alors j’ai fini par essayer de planter des tulipes hollandaises en fin de printemps, parmi d’autres cultures locales.

Le résultat fut assez piteux : un tiers des bulbes n’ont pas démarré, le reste a fleuri, à peu près en même temps que mes dahlias, et la majorité de mes bulbes n’a pas passé l’hiver suivant.

Grand-mère et la sagesse populaire disent : «les tulipes se plantent en automne, de préférence en septembre ou octobre ».

Plantation des bulbes de tulipe en automne

Les tulipes se plantent en automne !

Des séries de tests menés à la pépinière nuancent ce résultat : les bulbes de tulipes s’installent mieux si ils sont plantés en automne ; les résultats sont honorables sur une plantation hivernale, mais deviennent franchement aléatoires à partir de mars-avril.

Donc, pour rater vos tulipes, plantez-les quand vous y pensez, en avril-mai lorsqu’elles sont en fleur chez le voisin et que ça vous rend vert(e) de jalousie. Le résultat sera, au mieux, médiocre.

Variante proposée aux jardiniers distraits et paresseux : achetez-les en automne, oubliez-les au garage durant un an et plantez-les à l’automne suivant, échec assuré à 95 % ! Nous conseillons souvent, aux clients qui nous appellent en janvier après avoir retrouvé un paquet de bulbes vicieusement caché par la femme de ménage au fond de la remise, de planter immédiatement : la floraison sera un peu retardée, mais tout à fait convenable.

Leçon numéro 2 : pour rater vos tulipes, triez vos bulbes très ri-gou-reu-se-ment (et jetez-les tous)… ou ne les triez pas du tout !

Autant la première leçon était adaptée aux jardiniers latins, paresseux et procrastinateurs comme moi, autant la seconde est conseillée aux maniaques du rangement, de l’ordre, de préférence avec une origine d'outre-Rhin.

Les bulbes de tulipe de culture sont arrachés mécaniquement, par des machines avec des sortes de herses. Ce n’est pas extraordinairement poétique, mais efficace (et c’est ce qui permet de ne pas payer son bulbe une dizaine d’euros la pièce).

Tulipe : production de bulbes

Arrachage mécanique des bulbes de tulipes

Dans le processus, beaucoup de bulbes perdent leur petite pellicule protectrice couleur cuivre (aucune importance), et certains se retrouvent légèrement râpés, parfois superficiellement entaillés, sans aucune conséquence néfaste sur la reprise du bulbe.

En revanche, la moisissure est un très sérieux ennemi du bulbe de tulipe : en cours d’automne, les bulbes, notamment s’ils sont stockés dans des conditions humides, tendent à développer une couche de moisissure. Si cette atteinte est superficielle, il suffit de leur donner un coup de chiffon pour l’enlever, et la reprise sera parfaite. En revanche, si cette moisissure atteint l’intérieur du bulbe (signal : la moisissure ne part pas d’un coup de chiffon), particulièrement au niveau du plateau racinaire, le bulbe n’a aucune chance de reprise. Pire : la moisissure risque de s’étendre aux autres bulbes de tulipes alentour. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous trions manuellement tous nos bulbes de tulipes lors de leur conditionnement ; raison pour laquelle aussi il est conseillé de planter ses tulipes en septembre ou octobre : les bulbes sont, à cette période, pratiquement exempts d’attaques de moisissure.

Donc, pour rater vos tulipes, jetez tous les bulbes pour non-conformité avant plantation… Ou à l’opposé, laissez traîner un paquet de bulbes dans un lieu humide, ou, avec un peu de chance, les bulbes moisiront en quelques semaines.

Leçon numéro 3 : pour rater vos tulipes, plantez-les dans un endroit inadapté : ombre profonde, marais, terrain extrêmement lourd, ou zone caillouteuse où rien ne pousse

La tulipe, fidèle à ses origines ottomanes aime le soleil et les terrains assez drainants, qui ne retiennent pas trop l’eau, mais relativement riches, pour permettre au bulbe de refaire ses réserves après floraison.

Elle fleurit sur les réserves accumulées par le bulbe, même si les conditions de culture sont médiocres, il est donc difficile de la rater la première année. En revanche, si les conditions sont suffisamment mauvaises, le bulbe ne pourra pas refaire convenablement ses réserves après floraison : ainsi, dès la deuxième année, les fleurs seront chétives, ou absentes.

Si le bulbe est planté en ombre complète (moins de deux heures de soleil par jour), les fleurs seront chétives.

Si le bulbe est planté en terrain très lourd et humide, une partie des bulbes pourra pourrir dès la première année, le solde les années suivantes.

Si la tulipe est plantée dans un sol excessivement sec au printemps, les tulipes seront naines, avec un jaunissement précoce du feuillage, et ne reviendront pas.

À noter : inutile d’essayer de rater vos tulipes en les plantant dans un sol très acide ou calcaire : les bulbes de tulipes supportent tous les pH, vous ne pourrez pas les rater avec cette méthode classique.

Pour les amateurs de technicité, il est intéressant de noter que toutes les tulipes n’ont pas la même résistance à des conditions difficiles.

Les tulipes botaniques (petites tulipes qui gardent un cousinage éloigné avec leurs ancêtres naturelles) sont ultra costaudes. Elles tiennent de nombreuses années même dans une situation ombrée en terre lourde. Elles se naturalisent dès que les conditions sont convenables. Très difficile à rater, un challenge !

Les tulipes horticoles anciennes (ex. : Fleurs de Lys, triomphe) sont assez costaudes. Tiennent 3 ans environ dans des conditions de culture médiocre, 7 à 10 ans dans de bonnes conditions de culture. Difficile à rater.

Les tulipes doubles (tulipes à fleurs de pivoine) sont globalement fragiles, durabilité de 2 à 5 ans suivant les conditions de culture. Assez facile à rater.

En synthèse, pour rater vos plantations de tulipes :

  • Si vous habitez dans la moitié nord de la France : plantez des variétés récentes à fleurs doubles dans un terrain lourd et humide en situation très ombragée. Et si l’hiver est sec, arroser abondamment pour garantir l’échec.
  • Si vous habitez au sud : plantez les mêmes variétés, dans un terrain pauvre et caillouteux, sans aucun arrosage, et croisez les doigts pour avoir un printemps très sec, gage d’échec.

Leçon numéro 3 : pour rater vos tulipes, plantez-les à l’envers, ou trop profond, ou pas assez

Les tulipes ont un haut (la petite pointe) et un bas (la zone aplatie d’où partiront les racines) ; plantées à l’envers, pointe vers le sol racine vers le haut, elles auront beaucoup de mal à pointer…. En toute honnêteté, je dois l’admettre, je n’ai encore jamais pratiqué cette méthode. Mais je sais qu’elle fonctionne, ayant eu affaire à un client furieux de la mauvaise qualité de nos bulbes. Il avait soigneusement planté ses bulbes tête en bas…

plantation des tulipes : sens du bulbe

Variantes de ratage :

  • Version maniaque : planter ses bulbes trop profond (résultat : des tulipes naines… voire pas de tulipe du tout). C’est une méthode classique, qui demande du travail, il faut creuser profond, une trentaine de centimètres, mais qui en vaut la peine : on se retrouve avec des tulipes assez ridicules d’aspect.
  • Version paresseuse : planter ses bulbes trop peu profondément (bulbe affleurant presque), méthode très économique en temps et en effort, raison pour laquelle je l’aime beaucoup. Elle est néanmoins plus aléatoire, il arrive parfois que les tulipes s’installent malgré tout convenablement, allez savoir pourquoi.

Pour bien planter ses tulipes, voici ce qu’écrirait un bon jardinier :

  • Faire un trou de 4 fois le diamètre du bulbe (environ 20 cm)
  • Combler un quart du trou (soit la hauteur d’un bulbe) de terre meuble, voire de terreau ou de terre mélangée à du sable grossier de rivière si vous avez une terre lourde. On prolonge ainsi efficacement le nombre d’années de floraisons.
  • Poser le bulbe, pointe vers le haut, au fond du trou (environ 15 cm)

Recouvrir de terre. Si vous ne vous êtes pas trompés dans ces calculs compliqués, le bulbe doit être recouvert de deux fois sa hauteur de terre (un bon 10 cm).

Donc, pour rater vos plantations de tulipes, plantez-les tête en bas, beaucoup trop profondément, au moins 20 cm de profond, ou superficiellement, moins de 5 cm, dans une terre non décompactée.

Leçon numéro 4 : pour rater vos tulipes, plantez-les dans un jardin infesté de rongeurs

Les souris et autres mulots adorent grignoter les bulbes de tulipes qui constituent pour eux une friandise de choix qu’elles vont longuement traquer au jardin à l’automne, quand les bonnes choses se font rares. C’est d’ailleurs la raison officielle pour laquelle nous entretenons une petite armée de chats à la pépinière, comme je l’expliquais l’hiver dernier à la contrôleuse des impôts qui, contemplant d’un air un peu pincé les 3 chats affalés sur autant de radiateurs du bureau, me demandait de justifier les factures d’achats industriels de croquettes et les coquettes notes de vétérinaire...

Notez aussi l’intérêt des sangliers (en Corse, orientez-vous vers les cochons sauvages  et en Bretagne, un cochon dérobé à l’élevage du coin pourra parfaitement faire l’affaire) : certains clients ayant jardin ouvert près d’une forêt ont eu l’agréable surprise un matin de trouver le massif qu’ils avaient fraîchement planté soigneusement labouré par ces sympathiques compagnons qui, semble-t-il, apprécient également les bulbes de tulipes.

Si votre terrain est infesté de rongeurs, cinq solutions :

  1. Ravalez votre fierté, et revenez voir la fille de la voisine qui avait empoisonné votre week-end en essayant de vous fourguer un petit de la énième portée de son affreuse chatte qui vient régulièrement saccager vos magnifiques nepetas.
  2. Utilisez des « cages à bulbes » (ou fabriquez-en avec du grillage assez fin), c’est pénible, mais cela protège efficacement les bulbes
  3. Plantez vos bulbes de tulipe en pot. Les souris ne pourront pas les atteindre.
  4. Menez la vie de château, en plantant parmi votre massif de tulipes des fritillaires impériales, qui, en plus d’éloigner plus ou moins les rongeurs, donneront à votre jardin un petit air de jardin de château à la française.
  5. Changez votre fusil d’épaule et plantez plutôt des narcisses : les rongeurs ne les mangent pas.

Pour rater vos tulipes, élevez des sangliers, ou plus simple pour les petits jardins, installez une colonie de mulots ou un élevage de cochons au jardin

Si, malgré tous ces efforts, vos tulipes ont réussi à fleurir, sans doute contemplez-vous votre magnifique parterre en fleurs, au bord du découragement… Mais tout n’est pas perdu ! Vous pouvez encore, avec quelques efforts, saboter le refleurissement de vos tulipes l’année suivante :

Leçon numéro 5 : comment rater le refleurissement des tulipes : arrachage ou tonte précoce, famine ou mort par la soif

La nature est mal faite : les tulipes au jardin ont besoin d’un peu d’attention juste au moment où vous cessez de vous en occuper, après la floraison, lorsque ces beautés sublimes fanent et se muent en tiges et feuilles disgracieuses plus ou moins jaunâtres.

La période post-floraison, généralement avril-mai ou mai-juin, est le moment où les bulbes de tulipes reconstituent leurs réserves pour pouvoir refleurir l’année suivante : elles ont besoin de leur feuillage, d’un peu d’eau (particulièrement si elles sont plantées en pot), et apprécient alors de l’engrais. On peut sans dommage couper les tiges florales, mais un bon jardinier ne coupe pas le feuillage avant son jaunissement complet. Au contraire, il va le stimuler, avec un peu d’engrais, et arroser en cas de sécheresse printanière. Ledit bon jardinier plante aussi, devant ou parmi ses tulipes, des vivaces à floraison printanière, comme les brunneras par exemple, qui permettent de masquer le feuillage disgracieux de tulipes après floraison, sans avoir à le couper précocement.

Donc, vous l’aurez deviné, pour empêcher vos tulipes de refleurir convenablement, il vous faut contrecarrer cette régénération. Le plus simple est de passer votre tondeuse immédiatement après défleurissement sur votre massif de tulipes : les bulbes ne refleuriront pas, ou très peu. Et si vous renouvelez la tonte à floraison après floraison la deuxième année, vous viendrez à bout des dernières survivantes.

À noter : il était de tradition parmi les vieux jardiniers d’arracher les bulbes de tulipes en fin de printemps pour les replanter en début d’automne. Cette coutume est passée de mode, car elle n’améliore pas significativement leur durée de vie. En théorie, l’arrachage et le stockage en clayette diminue le risque de maladie cryptogamique (de type fusarium) ; en pratique, il y a généralement plus de risque lié à des conditions de stockage médiocres (humidité excessive, présence de rongeurs,…) qu’au maintien en terre dans un jardin convenablement drainé. En clair : ce n’est pas en laissant vos bulbes en terre que vous augmenterez significativement vos chances de les rater.

En synthèse, pour empêcher les tulipes de refleurir en deuxième année, rasez vos massifs immédiatement après plantation.

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En bonus spécial pour récompenser les lecteurs qui ont eu la patience de parcourir d’un œil distrait toutes ces nombreuses lignes :

Cadeau Bonus : comment faire un massif de tulipes moche

On peut réussir à faire pousser des tulipes, et néanmoins aboutir sans difficulté à un résultat fort laid. C’est très facile, voici quelques petits trucs de spécialiste pour vous y aider :

  • Mélanger beaucoup de couleurs non complémentaires

On dit souvent qu’un beau massif joue sur deux couleurs, maximum 3. Si vous mélangez des bulbes de 4 ou 5 couleurs non complémentaires, vous obtiendrez un résultat généralement criard qui vous rappellera les catalogues de VPC de plantes de votre grand-mère (non, nous ne citerons pas de noms !)

  • Planter plusieurs variétés côte à côte sans les mélanger

Vous vous procurez, par exemple au hasard, la magnifique collection de tulipes « Carnaval de Venise » de Promesse de fleurs (notre meilleure vente depuis 30 ans), et au lieu de bien mélanger les 5 variétés assorties de cette collection pour un résultat harmonieux, plantez chaque variété à part. Encore mieux : au lieu de planter naturellement, c’est-à-dire un peu irrégulièrement, faites de belles lignes de plantation, absolument droites, comme on fait au potager. Le résultat sera… étrange !

  • Planter insuffisamment dense

Les jardiniers expérimentés plantent les tulipes de manière assez dense, pour un bel effet de groupe. Sans planter forcément en grand nombre, on obtient un bel effet avec 10 bulbes plantés en forme de « patate » sur 20 cm2, ou même avec 5 bulbes regroupés en « poquets » dans un même grand trou de plantation, avec un espacement entre bulbes d’une dizaine de cm.

Vous lisez, sur promessedefleurs.com, qu’on peut planter une centaine de bulbes de tulipes par m2, au minimum 50, et votre belle mère plastronne avec ses massifs à 150 tulipes au m2. Mais comme on ne vous la fait pas, comme vous connaissez l’esprit mercantile généralement malhonnête de Promesse de fleurs et les dépenses inconsidérées de votre belle-mère dès lors qu’il ne s’agit pas de votre cadeau d’anniversaire, vous ricanez, et plantez vos bulbes de manière économique, 10 bulbes au m2 ; ça sonne bien, et ça fait… un bulbe tous les 40 cm.

Bravo !

Le résultat sera bizarrement moche : vous aurez la vision d’une petite forêt de tiges (les tiges de tulipe sont toujours disgracieuses). Et si vous cumulez avec les conseils précédents, je vous promets que les voisins et passants s’arrêteront devant votre jardin pour contempler votre massif.

Je vous le promets, car j’ai le souvenir toujours cuisant malgré le temps passé, d’une sorte d’attroupement de voisines rigolardes un jour devant la splendide première floraison de mon tout premier massif de tulipes.