Je vous l'avais promis, voici la suite du reportage sur le jardin Hermannshof que j'ai visité à nouveau le 26 avril, un beau dimanche doux et ensoleillé. C'était le temps des tulipes... mais pas que ! Je vais donc les garder pour la fin, histoire de vous tenir en haleine jusqu'au bout...

Un océan de tulipes colore les massifs de vivaces devant la maison des jardiniers d'Hermannshof
Un océan de tulipes colore les massifs de vivaces devant la maison des jardiniers d'Hermannshof

A l'entrée, ce sont deux de mes plantes préférées qui m'accueillent de leur floraison : les tulipes 'Green Star', en forme de fleur de lis, blanches à large rayure verte, et le rosier botanique ou presque 'Canary Bird', aux fleurs simples jaune poussin. C'est l'un des tout premiers rosiers à fleurir au printemps... Je traverse le jardin des pivoines, pas encore épanouies, mais à en juger par les étiquettes 'Itoh', 'rockii' et j'en passe, il va encore falloir revenir ! Je vous les montrerai dans mon reportage du mois de mai. Cette fois-ci, je me dirige d'abord vers les sous-bois d'Amérique du Nord, attiré par les nuées blanches et roses des cornouillers à fleurs...

Les sous-bois nord-américains sous les floraisons de cornouillers
Les sous-bois nord-américains sous les floraisons des cornouillers

Un ensemble de très beaux sujets de Cornus 'Ascona', un hybride naturel entre Cornus florida et Cornus nuttallii à larges bractées blanc pur assure le spectacle en hauteur, aidé par ses parents Cornus florida "type" en blanc et sa version rose (Cornus florida f. rubra), et un curieux Cornus nuttallii 'North Star' à bractées étoilées.

A hauteur du sol, de larges tapis de myosotis du Caucase (Brunnera macrophylla), oui oui, le Caucase d'Europe... dans lesquels se dissimulent, oui oui encore, quelques beautés asiatiques : Epimedium 'Amber Queen', un Glaucidium palmatum, rare vivace chinoise aux fleurs diaphanes mauve parme pour sols humifères et toujours frais, pas donnés à tout le monde ! Un autre chinois, le Sedum emarginatum court entre des Ophiopogon, il y a donc aussi des sédums pour l'ombre... Je m'arrête encore devant quelques Corydalis quantmeyeriana, à fleurs lilas sur feuillage brun-rouge, une espèce bien vivace et facile à réussir contrairement au Corydalis flexuosa bleu qui est plus exigeant sur ses conditions de vie...

La prairie de vivaces nord-américaines continue son développement, elle sera à son apogée en août : patience... Actuellement, de vigoureuses touffes de Camassia leichtlinii subsp. suksdorfii 'Caerulea' aux épis bleus contrastent avec les cornouillers à fleurs. Cette bulbeuse encore peu répandue pousse facilement en milieu ouvert au soleil ou à mi-ombre en sol frais et fait toujours de l'effet grâce au graphisme de ses épis allongés.

Dans la prairie de vivaces hautes nor-américaines, les camassias bleus occupent le terrain et contrastent avec les cornouillers à fleurs à l'arrière-plan.
Dans la prairie de vivaces hautes nord-américaines, les camassias bleus occupent le terrain et contrastent avec les cornouillers à fleurs à l'arrière-plan.

Au "cabinet des curiosités", j'ai trouvé les Podophyllum (syn. Dysosma). Ils font partie de ces rares plantes au feuillage pelté, c'est-à-dire que le pétiole est relié au centre du limbe (la feuille) plutôt qu'à l'une de ses extrémités, ce qui forme comme un parapluie. Le Podophyllum peltatum, le plus courant, est un couvre-sol qui s'adapte à la sécheresse estivale en rentrant en dormance l'été. Moins courante, la sélection de Podophyllum 'Spotty Dotty' a une croissance en touffe et se plante en sol frais et léger, où elle ne manquera pas d'étonner les visiteurs... cette plante me fait toujours penser à un crapaud, voyez la photo ! Encore plus rare, Podophyllum pleianthum au feuillage vert pomme tellement épais et brillant qu'on croirait du plastique ! Dernière surprise, les fleurs sous le feuillage en été, qui permettent aux botanistes de les ranger dans la famille des Berbéris, comme d'ailleurs les Epimedium pubigerum à la floraison légère en vert-crème plantés juste à côté et que j'ai ajoutés sur ma liste "à essayer"...

Il y a tellement de plantes intéressantes que j'ai déjà passé presque une heure dans cette petite partie du jardin... Il est temps de traverser les sous-bois et lisières asiatiques puis européennes. A l'ombre naissante d'un grand Metasequoia glyptostroboides, j'y croise un superbe Rhododendron augustinii, à l'abondante floraison bleu-violet. Juste à côté, un Fothergilla major apporte un peu lumière avec ses fleurs en plumets blanc crème. Deux arbustes inhabituels à retenir pour un jardin en sol acide et humifère.

Dans les lisières asiatiques, on commence à deviner les plantes qui vont assurer le spectacle cet été : les graminées Hakonechloa macra dévoilent leurs effectifs et le feuillage des anémones du Japon commence lui aussi enfin à sortir de terre. En ce moment, c'est une forme blanche de la jacinthe des bois qui apporte des points de lumière dans ce sous-bois qui s'assombrit progressivement avec le nouveau feuillage des arbres caducs. J'y retrouve aussi le rare Stachyurus salicifolius, un arbuste à la floraison en grappes pendantes de clochettes dorées, plus tardif que son cousin Stachyurus praecox planté juste à côté dont il a "pris le relais". Un peu plus haut, le feuillage bronzé des rodgersias pousse presque à vue d’œil et promet un développement impressionnant !

Les "lisières asiatiques" du jardin Hermannshof sont éclairées par les jacinthes des bois blanches.
Les "lisières asiatiques" du jardin Hermannshof sont éclairées par les jacinthes des bois blanches.

Bien que discrète avec sa teinte rouge-brun un peu éteinte, la floraison des Pulmonaria mollis attire mon attention car les abeilles, elles, l'ont remarquée tout de suite et s'affairent à la butiner. Curieusement je n'en observe pas autant sur la pulmonaire 'Opal' à la floraison d'un bleu diaphane pourtant plus intéressante pour nos jardins. Les sous-bois européens sont peuplés par d'autres membres de la famille botanique des Boraginacées (bourrache) : à nouveau des tapis entiers de Myosotis du Caucase (Brunnera macrophylla), qui se ressème de lui-même tout en restant bien vivace, et des consoudes à grandes fleurs (Symphytum grandiflorum 'Wisley Blue') qui s'étalent par stolons. Quasi indestructible, c'est une espèce propre à coloniser l'ombre difficile (pieds d'arbres) dans les grands jardins !

En sortant des sous-bois, une surprise : quel est donc ce magnifique couvre-sol à l'abondante floraison blanc pur ? C'est la stellaire holostée, une plante sauvage qui pousse sur nos bords de route, cousine des œillets... et du mouron ! Au pied de ce grand cèdre, ç'aurait été bien dommage de la désherber, l'effet est superbe !

La stellaire holostée, une plante "sauvage" forme un superbe couvre-sol au pied d'un grand cèdre
La stellaire holostée, une plante "sauvage" forme un superbe couvre-sol au pied d'un grand cèdre

En vis-à-vis, dans la prairie humide, diverses espèces de camassias bleus répondent aux narcisses des poètes blancs, utilement tardifs et parfumés, en plus d'être adaptés aux sols lourds, humides et froids. Une vivace, l'euphorbe des marais (Euphorbia palustris) vient relever cette association de son vert acide. On la retrouvera en automne quand elle prendra des superbes teintes automnales du jaune au rouge en passant parfois par le rose. Qui a dit que seuls les arbres et arbustes pouvaient prendre de belles couleurs d'automne ?

La prairie humide est animée par l'association des camassias bleus et des narcisses des poètes blancs, relevée par le vert acide de l'euphorbe des marais
La prairie humide est animée par l'association des camassias bleus et des narcisses des poètes blancs, relevée par le vert acide de l'euphorbe des marais

En face, dans le massif surélevé qui reproduit les steppes rocheuses et sèches, un Elaeagnus multiflora en pleine floraison joue le rôle de l'olivier en version chartreuse (et rustique !). Dans son ombre, une immense colonie de Lathyrus vernus (gesse printanière) termine sa floraison et produit ses premiers fruits, en forme de petits haricots vert pourpré : ceux-ci créent une harmonie très raffinée avec le feuillage rouge-pourpre naissant de plusieurs touffes de Clematis recta 'Purpurea'. Je quitte ce milieu avec une impression de la steppe version méditerranéenne, dominée par la floraison jaune dorée des Cytisus ratisbonensis, que tempèrent les feuillages gris des santolines et des lavandes.

J'arrive enfin aux massifs, où les vivaces hautes doivent encore pousser avant de fleurir. Ce sont donc les tulipes, accompagnées par quelques vivaces précoces et des myosotis bisannuels qui assurent le spectacle. Mais elles ne sont pas les seules en vedette au jour de ma visite : les arbres et arbustes à fleurs, soigneusement choisis, tiennent aussi le haut du pavé. Un pommier d'ornement, le Malus hupehensis, planté en 1924, a développé un port majestueux et démarre tout juste sa floraison blanche. Il est accompagné par un lilas de Chine (Syringa x chinensis) tout aussi remarquable : cet hybride a une floraison très abondante violet-pourpre, un ton au-dessus du lilas classique, et un port souple et étalé qui se révèle bien sur ce vieux sujet. Et du parfum, bien entendu ! Mais la vraie star du jour... c'est l'arbre aux mouchoirs (Davidia involucrata var. vilmoriniana). Il attire l'attention de chacun des nombreux visiteurs du jardin et c'est amplement mérité !

L'arbre aux mouchoirs, Davidia involucrata var. vilmoriniana
L'arbre aux mouchoirs, Davidia involucrata var. vilmoriniana, concentre l'attention des visiteurs. A l'arrière-plan, le marronnier du jardin voisin !

Enfin, à l'ombre relative d'un arbre de Judée en pleine fleur, des vagues de tulipes réunies par harmonies de couleurs inondent les massifs. Pour assurer un spectacle de longue de durée, tous les groupes sont représentés, des tulipes Triomphe hâtives aux tulipes simples tardives qui démarrent tout juste, en passant par les élégantes tulipes fleurs de lis particulièrement bien représentées. Les variétés les plus fantaisistes, doubles, frangées ou "perroquet", sont cependant reléguées aux deux massifs saisonniers renouvelés tous les ans. Comme par magie, les harmonies diverses se succèdent sans s'entrechoquer : il y a pourtant là autant des liaisons "classiques" en blanc et rouge, que des dégradés d'orange, de rose, des harmonies blanc-rose-pourpre, et même des harmonies rose-orange, autour du coloris unique de la variété 'Dordogne'.

C'est sur ces beaux tableaux que je vous laisse... jusqu'au mois prochain !