Peut-être l'avez-vous constaté cet été mais, avec les beaux jours, les naturalistes ont marqué un petit retour, en particulier sur les réseaux sociaux... Et, comme tous les ans, une certaine catégorie d'entre-eux sont montés au créneau contre une plante exotique. Cette année, c’est le Buddleia appelé « arbre à papillon » qui fait particulièrement l'objet de leur courroux.

Le débat est simple, classique mais efficace :

« Vous êtes rien que des vilains qui tuez la nature ! » (les botanistes aux horticulteurs)
« C’est même pô vrai d’abord !» ( les horticulteurs aux botanistes)

Bienvenue dans la cour de récré ! Et me voici, pile au milieu, à essayer de calmer les troupes des deux camps.

Le débat sur le buddleia, en détail

On entend, on lit et on voit de plus en plus d’articles, de posts facebook ou de reportages télévisés dont le sujet est : « Les Buddléias tuent les papillons car le nectar contient de la caféine. » Ces publications ont, en général, toutes la même particularité : elles traitent une information par-dessus la jambe et ne vont pas au fond des choses, le tout en ne citant bien entendu aucune source…

Dans l’état actuel de nos connaissances, il semblerait que le nectar des fleurs de Buddleia contiendrait une substance proche de la caféine qui attirerait irrémédiablement les papillons qui pourraient finir par s’épuiser et finalement mourir.

J’ai pris bien soin d’écrire cette phrase au conditionnel. En effet, depuis bientôt vingt ans, j’ai tout entendu sur cette plante. La plupart des faits (que j’exposerai plus bas) sont avérés tandis qu’un point reste éternellement sujet à débat : cette fameuse toxicité des fleurs qui a pour impact de « droguer » les papillons.

Étonnamment dès qu’on parle de cette éventuelle toxicité des fleurs du Buddleia, personne ne fait mention d’une quelconque publication scientifique sérieuse. Remarquez comme c’est cocasse…

buddleja, arbre à papillon

Les faits avérés scientifiquement 

  • Le Buddléia davidii, l’espèce-type, est une plante invasive, une EEE pour Espèce Exogène Envahissante. Elle va l'être préférentiellement sur dans des endroits détruits par l’Homme car c’est un arbuste qui apprécie les sols pauvres, caillouteux et un peu chamboulés (il est originaire des montagnes arides de Chine) : terrils, bord de chemins de fer, friche industrielle, vieux parking abandonné… mais aussi sur des milieux naturels particulièrement vulnérables par exemple les pelouses silicicoles de Normandie. C’est normal car c’est une espèce pionnière qui « prépare le terrain » pour que d’autres plantes puissent s’implanter par la suite. Nous avons dans notre flore indigène d’autres plantes pouvant réaliser ce type de travail mais le Buddléia est d'une redoutable efficacité car il vit très peu de temps : d’où son caractère invasif. Une fois que d’autres plantes vont pousser sur le substrat créé par le Buddléia au fil du temps, ceux-ci lui feront de l’ombre et le Buddléia, essence de lumière avant tout, disparaîtra. La végétation pourra alors se développer jusqu’au climax, l’évolution ultime d’un milieu naturel : une forêt de chênes par exemple. Seul bémol, le Buddléia prend effectivement la place d’une plante indigène utile pour la faune, notamment pour les insectes qui pour la plupart ont co-évolué avec les espèces endémiques. Pour rappel une plante exotique est toujours moins intéressante pour nourrir les larves et les adultes des insectes.

Nota bene : si vous avez chez vous l’espèce-type et que son caractère invasif vous inquiète : tailler fortement l’arbuste juste avant la formation des graines ! Le problème sera réglé.

  • Le Buddléia contient de l’aucubine et d’autres terpénoïdes toxiques par ingestion dans ses feuilles et ses rameaux. C’est pour cela que rien n’y personne ne consomme les feuilles. C’est le deuxième argument qu’avancent les naturalistes :« Si les papillons pondent sur le Buddléia, les chenilles ne pourront pas se nourrir. » En fait, ce serait bien mal connaitre les lépidoptères et surtout nier des millions d’années d’évolution. Un papillon est génétiquement programmé pour ne pondre que sur la plante ou la famille de plantes dont a besoin sa progéniture. Et pas ailleurs ! En revanche, il est vrai que si dans votre jardin, vous n’avez qu’un gazon tondu à ras, une haie de thuyas et… un seul Buddléia : et bien, les papillons ne pourront pas pondre. Donc vous aurez des papillons la première année sur votre arbuste et puis… plus rien. Dans un jardin avec une plus grande profusion de végétaux, les papillons vont visiter rapidement les fleurs de Buddléia puis iront pondre sur les plantes alentours en fonction de l’espèce du papillon : ortie, ronce, graminées, bourdaine, fabacées, brassicacées, apiacées…
buddleja, arbre à papillon

Nota bene : quelques sources mentionnent que la chenille du Sphinx Tête-de-mort ainsi que celle de la Cuculie du Bouillon blanc se seraient adaptées pour se nourrir de feuilles du Buddléia à défaut de leurs véritables plantes hôtes. "La nature retrouve toujours son chemin... "

  • Le nectar du Buddleia davidii bien que produit en quantité est pauvre en sucre par rapport à d’autres fleurs. Il est donc moins nourrissant pour les insectes. À noter que seuls les lépidoptères qui possèdent une trompe peuvent se nourrir de ce nectar. Quelques bourdons arrivent à découper la corolle pour y puiser une partie de celui-ci. On peut aussi apercevoir de temps à autre quelques syrphes et même une ou deux abeilles sauvages sur les fleurs mais c'est plus rare.
  • La majeure partie des variétés de Buddleias davidii vendus dans le commerce sont stériles, contrairement à ce que semble penser l’opinion publique. Inutile donc d’invectiver le malheureux qui range les palettes dans votre jardinerie du coin parce qu’ils vendent des Buddléias. Seul l’espèce type est invasive et elle n'est plus en vente.
  • Les autres espèces et hybrides de Buddléia ne posent aucuns problèmes : B. globosa, B. alternifolia, B. nivea…

Par quoi remplacer le Buddleia ?

Si vous souhaitez agir via le principe de précaution et éviter de planter un « arbre à papillon » et bien faites-le ! Mais remplacez-le par des plantes indigènes ou semi-indigènes (Europe de l’Est) et en laissant des parties sauvages dans votre jardin dans lesquels vous n’interviendrez que très peu. Histoire de faire les choses vraiment à fond pour tenter de sauver ce qui reste comme papillons et d’éviter ainsi de tomber dans l’hypocrisie générale. Le grand classique étant les donneurs de leçons du dimanche qui vont vous houspiller car vous avez une plante chinoise dans le jardin mais qui mangent des tomates en hiver, roule dans un 4X4 diesel et prennent l’avion quatre fois par an. Bref ce sont souvent de beaux parleurs… Laissons-les parler et avançons !

buddleja arbre à papillon

En conclusion

Je ne jette pas la pierre aux naturalistes. Loin de là... Leur combat est juste et nécessaire. En réalité, s’ils paraissent par moment de mauvaise foi ou carrément sectaires : c’est avant tout par nécessité ! Cela fait des dizaines d’années que personne ne les écoute sur les sujets environnementaux. Ils ont donc décidé d’adopter un langage plus facile à comprendre pour le commun des mortels par l’utilisation de conseils simples et précis, ici dans notre exemple : « Ne plus planter et arracher tous les Buddléias !» Etant donné ce qu’il se passe de nos jours, ils sont bien obligés de hausser le ton et tant pis, si dans l’histoire les autres buddléias trinqueront avec le premier…

Mais il convient néanmoins de prendre les informations qui circulent sans filet sur internet avec de grosses pincettes et de faire ses propres recherches. Peut-être qu'effectivement le nectar est une drogue. Peut-être pas... Cela fait des années qu'on ressort cette information, aussitôt démentie par une autre équipe de recherche, et puis non... ou bien... peut-être... ça dépend... Bref, on n'en est encore qu'aux spéculations. 

J'ai personnellement réalisé des inventaires sur les lépidoptères diurnes et semi-nocturnes (comme le Moro sphinx) durant trois ans chez moi. J'ai pu y voir une très nette augmentation du nombre de papillons ainsi qu'une plus grande diversité au niveau des espèces. Pourtant, il me reste bel et bien un Buddléia. Mais celui-ci est entouré de plusieurs ares de paradis pour insectes car j'y ai planté moult végétaux indigènes (ou non) et j'ai laissé quelques parties sauvages. Comme quoi, cet arbuste n'a pas l'air si méchant que cela.

À l'heure où j'écris ces lignes, je ne vois qu'un seul Vulcain sur mon "arbre à papillon" tandis qu'un fenouil sauvage, une belle surface d'origan, un Eringyum planum et un Hylotelephium spectabile semblent être "ze plèsse toubi" pour les lépidoptères en ce moment. 

Je vous encourage donc à vous aussi vous lancer dans l'étude des papillons ou des insectes en général, à tirer vos propres conclusions et à garder un esprit critique quoi qu'il arrive.