En mai dernier, nous étions mon mari et moi une nouvelle fois au RHS Chelsea Flower Show, à Londres.

Chaque année, durant une semaine, le gratin des jardiniers, pépiniéristes et paysagistes du monde entier se retrouvent au Chelsea flower show afin de présenter le meilleur de leur savoir-faire et toutes les nouveautés horticoles. À cette occasion, des jardins de démonstrations, créés sur place et présentés au public, sont notés par un jury de professionnels qui leur décerne quatre 4 récompenses : Or, Vermeil, Argent et Bronze. Parmi ces jardins, un seul est élu « Best in Show ».

Vous vous en doutez, être désigné comme « Best in Show », c’est l’assurance d’une visibilité maximum pour les sponsors, designers et pépinières ayant fourni les plantes utilisées pour la création du jardin. Et souvent devant ce jardin, le public se regroupe en masse.

Abandoned Maltese quarry, "Best in Show", really * ? 

Lors des couvertures télévisées du show par la BBC, j’avais été surprise du choix de cette année. Curieuse création… Mais comme d’expérience je savais que souvent les caméras peinaient à rendre la beauté d’un jardin, je pensais, une fois sur place, apprécier à sa juste valeur l’œuvre du paysagiste James Basson, un anglais passionné de plantes méditerranéennes et de jardins secs, défendant – idée bien dans l’air du temps – les jardins sans irrigation et avec une maintenance minimum (ce qui me semble toujours un pieux rêve…).

Toujours dans la mouvance de ses idées, il présentait une « re-création » d’une carrière de marbre maltaise qui aurait été abandonnée et reconquise peu à peu par la nature. Ce « jardin ? » était structuré en différents espaces, chacun évoquant ses propres écosystèmes et microclimats, de la côte aux forêts. Chaque espèce était censée figurer comment la nature se réappropriait un paysage conquis et exploité par l’homme.

Au centre, deux immenses bloc de marbre frôlant le ciel dominaient le jardin (et tout le site du Chelsea hospital), d’autres alignements de blocs plus petits et une excavation faisant office de piscine. Entre les différents blocs, çà et là, quelques fleurs, quelques herbes : la flore sauvage de Malte.

Mon mari et moi étions perplexes. L’ensemble ressemblait davantage à une série de blocs de béton et à un terrain vague qu’à l’idée de ce que nous nous faisons habituellement d’un jardin.

Au premier abord, celui-ci étant dans l’ombre, nous lui avons accordé le bénéfice du doute, estimant qu’il n’était pas mis en valeur. Mais au fur et à mesure que le soleil tournait, et inondait le jardin – ou plutôt frappait ses blocs de marbre – notre sentiment était resté le même : bof. C’était donc ça le plus beau jardin du show cette année ? L’œuvre admirable ? La perfection ? La quintessence du paysagisme mondial ? Au soleil. A l’ombre. De face. Ou vu de côté. Rien n’y faisait. Ce jardin nous laissait – sans mauvais jeu de mot- totalement de marbre.

Autour de nous, les autres visiteurs semblaient partager notre sentiment : pas d’exclamations, de commentaires élogieux, peu de photos prises, contrairement à d’autres jardins que nous avions admirés un peu plus tôt dans la journée.

Murs de béton, murmures de protestations

À Chelsea, devant chaque jardin sont distribués des prospectus expliquant la démarche du paysagiste, nommant les plantes utilisées et les pépiniéristes qui les ont cultivées, détaillant la construction du jardin et bien sûr, remerciant le ou les sponsors du jardin.

À côté de nous, une très vieille dame achevait de lire ce prospectus, quand elle s’est adressée à son amie, tout aussi âgée qu’elle est sans doute un peu dure d’oreille car malgré la foule nous avons pu entendre distinctement ses paroles :

« Tout ça c’est très bien, toutes leurs belles explications, leurs idées et leur symbolique. Mais moi je n’ai pas besoin qu’un jardin me raconte une histoire, j’ai besoin qu’un jardin me fasse ressentir quelque chose, et là, moi, devant ça, je ne ressens rien. Ce n’est pas un jardin ! ».

Nous n’avons pas été les seuls à entendre ces paroles car dans une partie de la foule autour de nous un silence gêné s’est fait, suivi presque aussitôt d’un long murmure d’approbation et même de quelques applaudissements. Le mot s’est répété tout le long des barrières entourant le jardin si bien qu’après une minute, il n’y avait que des têtes s’inclinant en signe d’assentiment.

Les juges et leurs critères abstraits, les sponsors et leurs dizaines de milliers de livres, les équipes d’ouvriers mobilisés pendant des semaines, les plantes les plus rares acheminées de lointaines pépinières, les paysagistes abreuvés de perspectives et de démence, la perfection des jardins artificiels de Chelsea mais aussi, de manière plus générale, l’ensemble du monde l’horticulture qui s’éloigne de plus en plus du monde des jardiniers, toutes ces certitudes et ces grands dogmes balayés sans complaisance comme des feuilles mortes, en trois phrases, par une vieille dame qui n’avait peut-être même plus son propre jardin…

Ce que nous apprennent les jardins d'exposition des festivals

Ces deux années, j’ai appris beaucoup de choses au Chelsea Flower Show. Mais cette année, j’ai surtout appris – ou peut-être pas appris, juste mis des mots sur ce qui se trouve intuitivement dans mon cœur lorsque je me retrouve les mains dans la terre – que le jardin n’est que ressenti, évocation, musique intérieure. Qu’un jardin n’est beau que par ce qu’il éveille en nous, et que c’est sans doute pour cette raison qu’il y a autant de styles et de types de jardins qui sont admirés et chéris par les uns et les autres.

Qu’un parc peut être classé remarquable sans être le moins du monde joli, et qu’un simple jardin de cottage peut être bien plus beau que tous les « Best in Show » de Chelsea.

Que le jardin n’existe qu’en tant que support de ce qu’il crée et qu’il éveille en nous. Que la perfection n’est rien sans émotion.

Et que pour toute personne qui jardine ou qui veut se lancer dans la création d’un jardin, c’est la plus belle leçon de paysagisme que l’on ne pourra jamais recevoir.

* Vraiment ?